Vous pouvez lire ci-dessous mon discours d’ouverture du colloque de l’Institut de l’Entreprise, prononcé hier soir en introduction au débat entre Mario Monti et Paul Krugman, sur le thème « Renouer avec la croissance : quel rôle pour les Etats et les entreprises ? ».
Dîner d’ouverture du colloque de l’Institut de l’Entreprise
« Renouer avec la croissance : quel rôle pour les Etats et les entreprises ? »
Introduction au débat entre Mario Monti et Paul Krugman
Lundi 17 juin 2013
Musée d’Orsay
Mesdames et Messieurs,
C’est avec plaisir que j’ouvre ce débat ce soir, où se croiseront les regards du Prix Nobel d’économie et célèbre chroniqueur du New York Times, Paul Krugman, et celui de Mario Monti, ancien Président du Conseil italien et président de l’Université Bocconi.
Le grand débat qui traverse le monde et avouons le d’abord l’Europe aujourd’hui, et qui devrait être au cœur des échanges ce soir, est celui de la place du curseur entre austérité et croissance. C’est par là, en tout cas, que je voudrais entrer dans la discussion. Je veux d’emblée poser ici trois repères :
- Tout d’abord, ce débat n’est pas théorique. Il conditionne des choix de politique économique qui ont un impact direct, immédiat, sur le niveau de bien-être des citoyens ou sur les efforts attendus des acteurs économiques. En France, ou en Italie par exemple, il influe sur le niveau soutenable de prestations sociales, ou le poids acceptable de la fiscalité des entreprises. Ces arbitrages ont des conséquences très concrètes, très lourdes parfois, au quotidien.
- Ensuite, ce débat est aussi un débat de diagnostic. Si l’on estime que le niveau de dette, publique et privée, est l’unique cause de la crise, alors il est logique que la réponse soit de réduire les déficits coûte que coûte. Mais si l’on estime à l’inverse que cette crise est le fruit d’une conjonction de facteurs, à la fois économiques et financiers, alors le débat binaire entre apurement et relance doit nécessairement s’élargir, tout comme la palette des réponses à apporter pour sortir de la crise actuelle. J’y reviendrai.
- Troisième point de repère : il est essentiel de prendre en considération la dimension démocratique du débat austérité / croissance. C’est un enjeu national : dans certains pays européens – je pense à la Grèce par exemple – les choix de politique économique ont été au cœur des élections récentes. Cette préoccupation, à l’évidence, taraude nos peuples, et les conduit à s’interroger sur leur relation à la politique, à ceux qui les dirigent. L’enjeu est, aussi, européen, et pose la question de la fragilité de l’assise démocratique des institutions communautaires, violemment rejetées aujourd’hui par certains peuples européens.
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Je voudrais à présent dire un mot de la manière dont le gouvernement aborde ce débat, au niveau européen et au niveau national.
Depuis mai 2012, la France défend un rééquilibrage des politiques économiques suivies en Europe en faveur de la croissance. Cette position se fonde sur un diagnostic assez simple. Parmi les grandes zones monétaires touchées par la crise, l’Europe est celle qui présente à la fois les déficits les plus bas et le taux de chômage le plus élevé, à la fois un excédent commercial et la croissance la plus faible. Je n’y vois aucun lien de causalité avec l’appartenance commune à la zone euro, dont la France souhaite et soutient à la fois l’intégrité et le renforcement. Mais ce sont des signaux d’alerte assez évidents que les politiques économiques européennes sont trop restrictives. Voila, il me semble, un premier élément de diagnostic absolument fondamental, et je suis sûr que Paul Krugman aura beaucoup à dire sur ce sujet.
Cependant, reconnaitre que la consolidation budgétaire a un impact négatif sur la croissance ne signifie pas que la réduction des déficits ne soit pas nécessaire. Les dettes accumulées font en effet peser un risque sur la stabilité financière et, in fine, sur la croissance elle-même. C’est là le second élément de diagnostic fondamental, et il est encore plus délicat à établir que le premier, comme on l’a vu avec la controverse sur les recherches de Reinhart et Roggoff et le fameux seuil de 90% de dette par rapport au PIB. Cette controverse montre l’importance du débat sur l’endettement, mais aussi son manque de maturité. La dette publique, j’en suis convaincu depuis longtemps, est l’ennemie de l’économie, l’ennemie des services publics et des politiques de solidarité. Tout euro supplémentaire consacré au service de la dette est un euro improductif. Pour autant, il est à mes yeux évident qu’il n’y a pas, qu’il ne peut pas y avoir, de chiffre « magique » indépendant du contexte institutionnel.
On peut en tout cas se féliciter que le débat économique ne soit pas mort. Ainsi, alors que les autorités monétaires explorent des terrains inconnus, certains s’inquiètent des risques, d’autres jugent au contraire qu’elles peuvent faire encore davantage – Paul Krugman et Mario Monti en diront peut-être un mot tout à l’heure. Le débat reste néanmoins animé, après avoir été ravivé, notamment, par les orientations récentes de la banque centrale du Japon et des choix des « Abenomics » faits par le nouveau gouvernement japonais.
Ces éléments posés, les pistes d’action s’imposent d’elles-mêmes. D’abord, il faut poursuivre le redressement des budgets nationaux, mais en s’attachant à définir un rythme et des modalités qui préservent les perspectives de croissance. Il y a un début d’inflexion, à Bruxelles, sur ces sujets, sous aiguillon français notamment, mais qui reste à confirmer.
Ensuite, il faut élargir la focale. Une fois établi que le redressement des comptes doit être poursuivi, sans représenter pour autant l’alpha et l’oméga des politiques économiques européennes, se pose la question des réformes de structure pour moderniser les économies européennes et remonter la pente de la compétitivité.
Cette question se pose au niveau national, mais aussi au niveau européen. L’une des réformes essentielles, à mes yeux, à achever pour renouer avec la croissance en Europe, c’est l’Union bancaire. L’Union bancaire, c’est ce qui nous manque aujourd’hui pour que tous les pays de la zone euro tirent les bénéfices de leur appartenance à la monnaie unique, pour mettre un terme à la fragmentation financière, pour assurer les mêmes conditions de financements à une PME espagnole ou italienne et à une PME allemande pour leur développement. On ne peut pas se contenter de dire que la croissance reviendra en Europe quand les Etats auront remis leurs comptes en ordre : c’est nécessaire, mais pas suffisant.
Enfin, il y a une question européenne particulière à régler, et je parle là avec l’expérience du vécu. Si nous avons tant de mal, en Europe, à définir et à négocier la juste tension, le juste dosage, entre redressement des comptes et soutien à la croissance, c’est que notre gouvernance économique européenne est mal adaptée pour cela. Nous peinerons à déterminer la bonne ligne de crête tant que nous n’aurons pas réformé notre gouvernance commune. C’est pourquoi le Président de la République, François Hollande, a récemment proposé une présidence de long terme et exclusive de toute autre fonction pour la zone euro, ainsi que des réunions plus fréquentes des chefs d’Etat et de gouvernement qui la composent. C’est pourquoi il a plaidé avec force pour une Union politique de l’Europe, à commencer par son cœur, la zone euro. Connaissant Mario Monti, je sais que c’est un sujet qui lui tient à cœur.
Un mot à présent de la manière dont la France cherche, depuis un an, à définir cette juste ligne de crête entre ce que j’ai appelé le « sérieux budgétaire » et le soutien à l’activité, à établir pour elle-même le bon dosage.
Le sérieux budgétaire, c’est deux choses. D’une part, réduire les déficits structurels, ceux qui mesurent la réalité de l’effort, sans crispation sur le déficit nominal. Je ne suis pas nominaliste : il faut réduire nos déficits structurels, mais accepter de laisser jouer les stabilisateurs automatiques en période de contraction de l’activité. Le sérieux budgétaire, d’autre part, c’est définir une composition de l’effort de redressement des comptes qui affecte le moins possible la croissance, d’abord en ciblant les entreprises et les ménages qui ont un taux d’épargne élevé, et à partir de 2014, en déplaçant cet effort de redressement vers la maîtrise de la dépense. C’est toute la différence entre le sérieux budgétaire, qui met en œuvre les ajustements, les réformes nécessaires à la croissance, et l’austérité, qui opère des ajustements excessifs, susceptibles de prolonger la stagnation ou la récession de l’économie. Cette nuance est d’importance : je crois au sérieux, je refuse l’austérité !
Mais le redressement budgétaire n’est que la première étape. La clé du redressement de l’économie française est ailleurs, dans les grandes réformes de structure nécessaires pour rétablir durablement notre compétitivité et préparer activement le retour de la croissance.
Au cœur de ces réformes de structure, un acteur incontournable : l’entreprise, conçue comme entité globale, comme projet commun, dirigeants et salariés confondus – je pourrais presque parler, à la place qui est la mienne, d’ « une entreprise France ». Celle-ci était déjà au centre des réformes phares de l’An I du Gouvernement. C’est pour permettre aux entreprises de se développer que nous avons décidé le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE), une baisse du coût du travail de 20 milliards d’euros, que personne n’a faite avant ce gouvernement, d’ailleurs.
L’entreprise est aussi au cœur de la réforme du marché du travail, négociée entre partenaires sociaux, et transposée tout récemment dans la loi. Dans tous mes déplacements, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Suède, plus récemment en Chine, dans toutes les rencontres que j’ai pour parler de la France aux investisseurs étrangers, je constate que c’est une réforme qui marque. Une réforme qui donne plus de visibilité juridique à l’entreprise, et plus de sécurité aux salariés, auxquels elle confère de nouveaux droits. C’est une avancée fondamentale, qui va modifier en profondeur les relations dans l’entreprise dans les années à venir.
L’entreprise est aussi au cœur de l’offensive que je mène pour améliorer le financement de l’économie, en agissant à tous les niveaux : fonds propres, dette, exploitation, trésorerie. C’est dans cette optique que s’inscrivent la création de Bpifrance, la Banque publique d’investissement qui aide les PME et les ETI à investir et à embaucher, la réforme du secteur bancaire, la modification toute récente du code des assurances pour soutenir le financement par endettement en permettant aux assurances de prêter plus facilement aux PME, ou bien encore les mesures pour améliorer les délais de paiement dans le cadre du plan trésorerie présenté en février.
L’entreprise est, enfin, au cœur du « choc de simplification » voulu par le Président de la République pour améliorer l’environnement règlementaire. Les Assises de l’Entreprenariat ont décliné concrètement cet objectif, au travers notamment d’une réforme de la fiscalité des plus-values de cessions : le nouveau régime, à la fois largement simplifié, plus incitatif pour l’investissement et mieux calibré pour reconnaître la prise de risque intrinsèque d’une création d’entreprise, s’inscrit dans cet objectif.
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C’est l’importance de ces réformes de structure que capture si mal le débat entre austérité et croissance, qui définit néanmoins nos marges de manœuvre. Je considère pour ma part que pour être un succès, une politique économique doit être globale : elle doit être macroéconomique et microéconomique, européenne et nationale, budgétaire et structurelle. Cela implique d’ouvrir beaucoup de fronts à la fois et de rechercher en permanence le juste dosage. Je suis toutefois convaincu que c’est la bonne approche, pour l’économie française mais aussi pour celles de nos partenaires européens. Et j’attends maintenant, après ces quelques mots d’introduction, le débat entre vos deux invités, Mario Monti et Paul Krugman.